ALBEROBELLO AU COEUR
Alberobello est inscrit au patrimoine de l’Humanité, et ici je me rends compte que l’atmosphère vibre de tout ce que j’avais oublié. Ces derniers temps, au bureau, je n’ai pas vu le jour, tant le boulot était harassant. J’en ai perdu jusqu’au sens des réalités. Je m’aperçois aujourd’hui que j’ai besoin de comprendre où j’en suis de ma vie et de faire le point.
Mon mari me met la pression. Certes, c’est un bon compagnon de voyage, mais il arrive parfois qu’une fièvre étrange s’empare de lui. A partir de là, il s’oblige à tout faire au pas de course : les visites, les photos, tout. Il en oublie que la lenteur est une vertu. Grâce à elle on peut jouir pleinement de tout un tas de choses, du coucher de soleil aux plus infimes variations de couleur et de grain sur les lauzes des trulli, à chaque fois qu’une ombre se déplace.
Il reconnait un itinéraire et se demande s’il vaut mieux visiter d’abord le Quartier monumental des trulli ou Casa Pezzolla.
Je le regarde, et lui demande alors gentiment de continuer tout seul.
“Delia, il faut qu’on se dépêche sinon on sera en retard pour le dîner”, me répond-il.
Je lui murmure un “je t’en prie” un peu sucré. Il me regarde sans comprendre. Je lui souris et je lui dis : “il n’y a pas le feu.” C’est vrai : il n’a qu’à commencer sans moi. Par l’église de San Antonio, s’il veut. Je le retrouverai plus tard.
C’est pour ça que je l’aime. Même s’il ne comprend pas toujours mes choix, il me fait confiance et me laisse agir à ma guise.
Je le vois partir en trombe, tandis que moi je prends mon temps pour me laisser porter par cette ambiance de contes de fées que m’évoquent les trulli, avec leurs murs immaculés. J’ai vraiment l’impression d’être dans un pays magique, hors du temps et unique au monde.
Les coupoles grises se découpent dans le ciel. Leurs pinacles forcent le respect. Leurs symboles propitiatoires m’ensorcellent. Tous renvoient à des histoires immémoriales. Je me souviens d’avoir lu quelque part que ces maisons en pierres sèches étaient bâties sans ciment, afin qu’on puisse les déconstruire facilement. Je pose la main sur un des murs pour mieux comprendre ce que ça peut vouloir dire.
C’est vrai : les rues principales sont farcies de boutiques remplies de souvenirs. D’accord, Alberobello c’est ça aussi. Je ne suis pas dupe.
Je suis fascinée par l’exiguité des intérieurs et par l’atmosphère agréable qui y règne. Je lève la tête et je porte le regard sur la clé de voûte, conique et blanche, comme si je devais y faire confluer l’ensemble de mes pensées.
Je suis attirée par les piments pendus aux portes d’entrée, par les corniches en saillie des toits, qui servent à recueillir l’eau de pluie, et par les ruelles à escalier qui, à l’abri des regards, ont traversé les siècles. Tout cela semble si éloigné de mon quotidien.
Je m’assieds sur un banc. Une femme me demande si le village me plaît. Je lui réponds que je le trouve superbe. Sans hésiter, elle m’invite à entrer chez elle.
“Ici, tout le monde est gentil… ou presque. Sinon, à quoi ça servirait de faire venir les touristes ?” Elle me dit ça avec une telle douceur que le sentiment de gêne qui m’étreignait disparait aussitôt.
A l’intérieur, une odeur de cuisine et de pomme sûre me chatouille les narines. La maison est petite et remplie de nappes brodées que je détaille avec attention.
“Etamine et macramé. C’est une technique que je tiens de ma grand-mère. Ici, les femmes l’utilisent depuis toujours”, m’explique-t-elle en entrant dans la pièce voisine.
Fascinée, je m’approche d’une fenêtre pour regarder le lopin de terre qui s’étend plus loin. Au-delà des cîmes des arbres, je vois une poignée de cônes et de pinacles. Ils dansent dans le jeu de couleurs des ombres qui habillent la rotondité des trulli. Je suis sous le charme.
“Madame, vous prendrez bien un petit verre ?”, demande la femme. Ces mots me ramènent à la réalité. Je suis dans une maison paysanne où je découvre ce que veut dire vivire la vie pleinement. Je suis de bonne humeur, et je déguste un rossolis artisanal au citron.
Me voilà repartie avec une bouteille. Elle a su me la vendre avec beaucoup d’astuce et de gentillesse. Je la regarde et je me dis qu’elle est forcément passionnée. Passionnée par sa terre.
Je me dirige vers le belvédère d’où l’on peut admirer la vallée d’Itria. Un spectacle en soi. J’y retrouve mon mari, absorbé dans ses pensées. Je l’embrasse et nous restons là, tous les deux, en silence, à profiter du panorama.
Ca n’est que bien après que je lui dis que j’aimerais dormir dans un trullo. L’idée le séduit. Elle le séduit d’autant plus que, pas plus tard que tout à l’heure, il a discuté avec un paysan qui lui a expliqué les techniques de construction de ces étranges maisons.
Mon mari et moi avons pris des chemins différents pour parvenir tous les deux à la même conclusion : une soirée ne suffit pas pour apprécier Alberobello à sa juste valeur. Une nuit passée dans les trulli nous permettra de visiter le village, dès demain matin.
Pour sentir battre le coeur d’Alberobello, il faut poser sa main dessus.
Remerciements spéciaux à Claude Albanese pour la traduction