Le Carnaval de Putignano
Le Carnaval de Putignano est vraiment dans mes gènes. En effet, je suis née pendant sa célébration.
C’est le 26 décembre, jour de la Saint Stéphane, qu’a débuté le Carnaval le plus long d’Italie et l’un des plus anciens d’Europe.
On assiste, sans discontinuer, à des moments de pur divertissement et de satire, à des processions et à des parades dans une perpétuelle alternance entre sacré et profane.
<Papa, mamie m’a dit que lorsqu’elle était jeune elle allait danser aux bals de Carnaval>.
Laura rit tandis que le chapeau que je lui confectionne tombe de sa tête.
<Elle m’a raconté qu’elle s’amusait comme une folle dans ces bals. Elle y serait même allée quand elle était enceinte. C’est vrai ?>.
<C’est pour ça que j’aime tant danser : mamie m’attendait mais ça ne l’a pas empêchée de faire la fête jusqu’au terme de sa grossesse, ou presque. Je suis né en février, tu sais ça, non ?>.
Ma fille me regarde, amusée et surprise, et je comprends qu’elle a du mal à imaginer sa grand-mère en train de danser avec un ventre rond.
J’aime le Carnaval, j’ai toujours aimé me déguiser en Farinella.
<Qu’est-ce qu’il est beau, le Costume de Farinella papa ! J’ai vu les photos dans les albums. Tu avais à peu près mon âge, non ?>.
<Oui Laura. C’est pour ça que tu as voulu que je te fabrique un chapeau comme celui-là ?>.
Elle sourit timidement. Je la serre dans mes bras et respire le parfum à la vanille qu’elle se passe dans le cou.
Farinella est la mascotte du Carnaval de Putignano. Elle tire son nom d’une préparation typique de la cuisine “putignanese” : une farine obtenue à partir de pois chiches et de grains d’orge grillés, puis broyés au mortier pour la rendre super fine. Un aliment qui fut longtemps utilisé par les familles paysannes du secteur.
<Papa, pourquoi porte-t-il un chapeau à trois pointes avec des grelots ?>, me demande-t-elle, curieuse.
Je lui raconte que la mascotte de Putignano combine deux personnages : Arlequin et le Fou du roi. Son kilt rouge et bleu, est aux couleurs de la ville, tandis que son chapeau à trois pointes symbolise les trois collines sur lesquelles on a construit le village.
Je m’amuse tout seul. J’ai l’impression de revivre l’époque où c’était moi le plus espiègle des Farinella lors des défilés de chars allégoriques.
<La maîtresse a dit que cette année, il y aurait encore plus de monde que d’habitude>.
Elle hurle, toute excitée.
Oui, pendant la période du Carnaval, Putignano accueille des milliers de visiteurs en provenance de l’Italie entière mais aussi de l’étranger. Entre autres choses, ils viennent admirer les chars allégoriques, ces véritables oeuvres d’art réalisées par de talentueux artistes sculpteurs de papier mâché
<Sais-tu qu’il y a encore quelques années de cela, les mannequins des chars étaient faits de paille et de chiffons ?>, lui demandé-je.
<Oui, nous avons appris que le Carnaval est né en 1394, à l’époque des incursions sarrasines. Après que l’on eut rapporté les reliques de Santo Stefano, à l’occasion de la fête des Propaggini, les paysans décidèrent de ne pas reprendre le travail mais de suivre la procession. Tout en dansant et en chantant, ils improvisèrent des poèmes satiriques dans le dialecte local >.
<Bravo !>.
Tout se déroule dans un esprit bon enfant, le long des rues du village, sous des averses de confettis, symbole palpable d’allégresse, jusqu’au mardi gras, jour où le Bonhomme Carnaval est livré aux flammes.
Celui de Putignano est réalisé en papier mâché, selon une méthode désormais élevée au rang d’art. Elle est à son meilleur niveau depuis le milieu du XXème siècle, quand l’argile vint compléter l’armature classique en fil de fer, recouverte de papier journal. Aujourd’hui, des techniques plus évoluées, qui requièrent cependant une dextérité éprouvée, permettent de confectionner de fantastiques mannequins allégoriques qui évoquent des personnages publics, croqués avec malice pour l’occasion. D’habiles mécaniciens les équipent désormais d’automatismes qui les font se mouvoir selon un schéma prédéterminé.
<Papa, dépêche-toi, le premier groupe masqué arrive ! Tu n’entends pas la musique ?>. Elle court et se penche au balcon, euphorique et fière de son costume.
J’aimerais tant l’embrasser et la garder auprès de moi, mais il est temps pour elle d’aller se mêler à la foule endiablée et de vivre son Carnaval. On a tous besoin de lancer des confettis et de prendre du bon temps.
Remerciements à Antonio et Roberto Tartaglione Photographes.